Le pur-sang anglais arrive en France


        La Restauration va maintenant nuancer le paysage hippique. Elle permet en effet aux chevaux anglais de pénétrer en France et à l’anglomanie de se donner libre cours. Parmi les pur-sang anglais que reçoit alors Le Pin, citons surtout Tigris, un bel alezan né en 1812, titulaire de neuf victoires en course, mais qui possède encore quatre-vingts pour cent de sang oriental, et le montre d’ailleurs dans son modèle.

                Cette arrivée du pur-sang et l’engouement pour les courses n'empêchent pourtant pas l’arabe de conserver ses positions, partant le besoin de l’élevage en étalons orientaux de rester important. De fait, avec la paix, les achats ne tardent pas à reprendre. Dès la fin de 1819, un arrivage substantiel au dépôt de remonte du bois de Bologne alimente les haras de Pompadour, Aurillac, Rodez, Arles et, en Bretagne, Langonnet.

                Plusieurs étalons arabes venant d’Alep sont offerts, d’autre part, à S.A.R. Monseigneur le duc d’Angoulême, qui les place dans son haras de Meudon, dirigé par un éminent homme de cheval, Agénor de Gramont, duc de Guiche. Pour le même duc d’Angoulême, notre consul à Alep achètera encore, en 1818, quatre autres de ces étalons.

                Mais la mission qui aura le plus de conséquences pour l’avenir de I'élevage arabe en France est celle que conduit au Levant, de 1818 à 1820, M. de Portes, directeur du haras de Pau. Le précieux vétérinaire Damoiseau, qui l’accompagne, relatera dans son Voyage en Syrie et dans le désert les aventures épiques à l’issue desquelles Ils ramèneront tout de même en France trente-sept étalons et deux juments. Et l’on doit à M. de Portes lui-même le récit des efforts au prix desquels il put se procurer un cheval aussi remarquable que Massoud, appelé à devenir chef de race en France.

                Massoud —- ce qui veut dire « fortuné » — appartenait à la tribu des Fedan, où on le vouait à la reproduction. M. de Portes l’avait plusieurs fois marchandé, mais l’animal disparaissait au moment où l’affaire semblait conclue. L’ayant revu, M. de Portes le fit examiner par M. Damoiseau, lequel, frappé de ses grandes qualités en dépit d’une extrême maigreur, estima qu’il conviendrait parfaitement à la Normandie. Le bédouin qui en était propriétaire atermoya, puis refusa de le présenter monté. M. de Portes se hasarda à l’enfourcher, sans selle ni bride, et constata au prix de son confort, car le cheval avait l’épine dorsale décharnée, que son galop était exceptionnel. En revanche, il prenait rarement le trot, mais, quand on parvint à le mettre à cette allure, on vit que son mouvement d’épaule était superbe. L’achat finit par se faire, quoique le cheval fût « l’objet de vifs regrets de la part d’un grand nombre de bédouins qui désiraient lui faire saillir leurs juments». Il fut amené à Alep, d’où on l’expédia en France.

                Massoud était un petit, mais très bon cheval, athlétique, plein de sang. L’excellent dessin qu’en a fait M. de Bonneval nous le montre avec son encolure portée un peu haut, « à la syrienne », une croupe assez brève mais une forte charpente, et un massif d’épaules magnifique. Sa tête était belle, avec un chanfrein rectiligne, des naseaux dilatés et un cachet tout à fait mâle.

                Eugène Gayot, dont le nom est lié à la création du cheval anglo-arabe et qui connut Massoud sur le tard, a dit de lui que c’était « un des meilleurs étalons arabes qui ait jamais été employé à la reproduction en Europe ». Il marque sa descendance de façon remarquable, d’abord au Pin dirigé par M. de Bonneval où il passa treize ans, puis à Tarbes (deux ans), enfin à Pompadour (huit ans). Tout en perpétuant le sang arabe en France, il sera un des piliers de la race anglo-arabe à ses débuts.

                Il transmettait beaucoup de figure, des membres forts, nets, larges, puissants, des jarrets solides, de belles allures. En Normandie, on redoutait que la taille de ses produits ne fût insuffisante ; il n’en a rien été. Mais c’est surtout après sa mort que l’on put juger combien il avait été exceptionnel.

                M. de Portes eut encore la chance de pouvoir ramener en France, parmi d’autres chevaux, la jument Nichab, offerte à la mission — en même temps qu’un étalon, Sakal Aga — par la célèbre Lady Esther Stanhope, mère de William Pitt, qui s’était fixée en Orient. Vivant fastueusement au Liban dans l’ancien monastère d’Abra, où on la surnommait la « princesse du Liban », cette grande dame avait fait le projet d’offrir à Napoléon un produit de son élevage. Les événements ne le permirent pas, mais elle eut d’une prestigieuse jument et d’un étalon appartenant au Cheikh Béchir, prince des Druses, la pouliche Nichab, qui était fort belle mais impossible à monter. Sa robe était d’un beau gris truité. Elle avait le chanfrein creusé, l’œil à fleur de tête, une expression magnifique.

                Arrivée en France, Nichab fut cédée à Madame Royale, duchesse d’Angoulême, et mise à la reproduction d’abord au haras du Pin, ensuite à celui de Pompadour. Elle passa dix ans au Pin, où elle travailla en croisement avec le sang anglais. Le 2 août 1829, on la présenta à la foule des amateurs normands, au cours d’une grande journée de courses sur l’hippodrome du Pin. Elle était suitée d’une pouliche engendrée par Tigris, pur-sang. Le clou du spectacle fut la reprise montée qu’effectua le vicomte d’Aure sur Massoud.

                Après son séjour au Pin, Nichab vint à Pompadour, où elle travailla pendant treize ans en race pure. Elle mourut à l’âge de vingt-huit ans, encore belle et noble, après avoir superbement produit.



Etalon du Nedj, tenu en main par un bédouin, acheté par l'administration des Haras français.


                En dehors de Massoud et de Nichab, chevaux exceptionnels, la mission de M. de Portes ramena les étalons suivants : Abou-Arkoub, Abou-Phar, Aslan, Bédouin, Berk, Chaleby, Chouyeiman, Daher, Durzi, Haleby, Médani, Nasir et Ourfaly. Ils furent répartis de manière à bien couvrir le territoire français : Abou Arkoub à Pau, Abou-Phar à Rodez puis à Pau, Aslan dans les écuries royales puis au Pin, Bédouin à Rosières-aux-Salines puis à Lamballe et à Pompadour, Berk à Cluny puis à Pau, Chouyeiman à Tarbes, Daher à Pau, Durzi à Angers, Haleby à Pau, Médani à Saint-Lô puis à Lamballe, Nasir à Pau puis à Pompadour, Ourfaly à Tarbes.

                Berk aura un destin hors série. Uni à la jument Asfoura, importée en 1830, il produira à Pau Méléha, dont la lignée ininterrompue donnera, en 1921, le fameux étalon Dénousté et, en 1947, le franco-tunisien Ourour.

                L’Etat n’est pas seul d’ailleurs à promouvoir l’élevage arabe. A Meudon, chez le duc d’Angoulême, le duc de Guiche se préoccupe autant des lignées arabes que des lignées anglaises. En 1825, dans son Amélioration des chevaux en France, il assurera que le seul moyen d’y perfectionner la race du cheval léger est de recourir au type régénérateur : le cheval d’Orient.

                Près de Dieppe, dans son haras de Gueures, Alexis de Tocqueville est, lui aussi, un inconditionnel de l’arabe. Entre autres étalons de cette race, il possède le remarquable Shaklawie-Amdan, qui appartint au pacha de Mossoul et fut un grand cheval de chasse et de raid. Contraint de s’en séparer par les vicissitudes politiques, le pacha l’avait cédé à M. de Lesseps, consul de France à Alep, qui l’avait envoyé à M. de Luxembourg, d’où il finit par arriver chez M. de Tocqueville. A la liquidation du haras, en 1831, il deviendra étalon national à Tarbes, où il laissera un grand nom.

N.B : Ceci est un extrait gratuit du livre " Le cheval arabe des origines à nos jours " de Philippe Barbié de Préaudeau, les éditions du Jaguar 1987, ceci n'est ni une adaptation ni une reproduction.  

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