Le cheval oriental au XIXe siècle

       
       Modelée par l’Histoire, la géographie du cheval oriental en Europe apparaît assez simple dans ses grandes lignes à l’aube du XIXe siècle. Durant un millénaire, il n’a cessé de se diffuser le long de deux grandes voies : l’une venant du sud, à travers une Espagne longtemps musulmane ; l’autre, de l’est, avec les armées ottomanes débouchant des Balkans. L’Angleterre et la France, à l’ouest, ont importé nombre de chevaux barbes et arabes. Mais après quelque flottement, leurs attitudes respectives se précisent et se distinguent. Optant pour la course et la vitesse pure, la première a créé le pur-sang anglais, ne laissant guère de place aux chevaux orientaux que dans ses colonies. Au contraire, la seconde, où Bonaparte va se passionner pour les chevaux arabes, s’ouvrira largement à leur influence.



Chasse à l'autruche dans le Sahara (bronze polychrome). par A. Dubucand


               Au centre du continent, la Pologne et la Hongrie, franchement passées sous l’angle hippique dans le domaine oriental, y demeurent et s’en trouvent bien. Plus à l’est, en revanche, dans l’immense Russie où le poney mongol garde sa place, ce sont les chevaux du Turkestan (turcomans) et leurs cousins du Caucase (circassiens) qu’on utilise le plus ; mais l’aristocratie leur préfère les arabes.

               Bref, les pays du Nord et l’Angleterre exceptés, toute l’Europe, au tournant du siècle, est sous l’influence du type oriental, très recherché, au moins pour le croisement.

               Mais c’est en France que l’arabe vrai va acquérir le plus clairement droit de cité. L’évolution est sensible. A la Renaissance, la cour et les princes s’étaient plutôt tournés vers les chevaux italiens, espagnols et barbes. Au début du XIXe siècle, les préférences s’orientent vers les chevaux du Levant, persans, turcs et surtout arabes, qui marqueront l’élevage français non seulement dans les provinces méridionales, mais même en Normandie. Puis la situation évoluera ; le pur-sang anglais viendra concurrencer l’arabe, ou éventuellement s’unir à lui dans l’anglo-arabe. La France est confortée dans son orientalisme par sa politique d’expansion en Afrique du Nord, où chevaux arabes et barbes font partie de la vie quotidienne.

              Le Maghreb comprend à cette époque deux Etats structurés, la Tunisie et le Maroc, encadrant une Algérie à la situation plus complexe. Théoriquement vassale du sultan de Constantinople, mais en fait indépendante, la Tunisie est gouvernée par une dynastie de beys. Le Maroc, après avoir eu des chérifs saadiens, est au pouvoir de la dynastie des Alaouites.

             En Algérie, par contre, les Turcs sont maîtres de la régence d’Alger et ont chassé d'Oran les Espagnols. Mais Constantinople s’en désintéresse. Le dey, représentant du sultan, n’a guère d’autorité que sur la région même d’Alger, le Dar el-Soltan. Les beyliks, ou gouvernements, de Médéa, Oran et Constantine sont pratiquement autonomes. Dans les zones proches du Sahara, enfin, les tribus échappent à tout contrôle. Non moins que le chameau, le cheval est pour elles d’une importance vitale ; elles apportent à sa production et à sa sélection autant de soins que les bédouins d’Arabie.

            Sur la vie dans le désert au début du XIXe siècle, le général Daumas nous renseigne admirablement dans ses Chevaux du Sahara. Né en 1803, Eugène Daumas, engagé dans les chasseurs à cheval et passé par l’Ecole de Saumur, arriva en 1835 en Algérie, où le général Bugeaud lui confia l’administration des « affaires arabes ». Brillant hippologue, apprécié même de son adversaire, l’émir Abd el-Kader, il évoque à merveille dans son livre les opérations de guerre et de chasse dans lesquelles les chevaux jouent un si grand rôle.

            Pour les coups de main, les razzias, explique-t-il, les chevaux du Sahara, qu'ils soient arabes, barbes ou arabes-barbes, sont assurément excellents. Ces actions violentes, qui font partie des mœurs du désert, s’accompagnent d’un certain rituel. Désireux de punir un douar, de venger un affront ou tout simplement d’enlever des animaux ou des marchandises, la tribu qui décide une razzia envoie des éclaireurs qui jaugent les forces de l’adversaire, puis elle s’en approche à petites journées. Le contact est pris. Des conditions sont posées. Si l’ennemi ne les accepte pas, un combat aura lieu et ce sont les cavaliers qui toujours décident de la victoire. De semblables combats ont inspiré à Delacroix plusieurs de ses tableaux et dessins. Le parti vainqueur propose la paix à l’adversaire. Si elle est conclue, les chefs des deux parties font en présence des marabouts le serment « qu’il n’y aura plus entre eux ni razzias, ni vols, ni meurtres, ni représailles, qu’ils sont frères et que leurs fusils ne tireront plus qu’ensemble ». Le retour de la tribu victorieuse est l’occasion de toutes sortes de réjouissances.

            Les Arabes du Sahara aiment passionnément la chasse et la pratiquent généralement à cheval. La gazelle se chasse à courre grâce à des lévriers rapides, les sloughis. Les chevaux n’y ont que peu de part. Il en va autrement de la chasse à l’autruche, dont il existe plusieurs formes, mais qui est toujours éprouvante.

            Il faut d’abord, et cela peut demander plusieurs jours, se mettre à la recherche des endroits où il est tombé de l’eau récemment, où existent des mares. L’herbe y attire souvent les autruches. Lorsqu’elles ont été repérées, si l’on est nombreux, on peut faire un immense cercle autour de la chasse, épuiser les animaux qui essaient de quitter le cercle, puis venir à eux et les assommer à coups de bâton. On peut aussi, comme le décrit Abd el-Kader, chasser l’autruche en ligne droite, ce que rend possible le fait qu’elle ne fait pas de détours. « Cinq cavaliers se postent à des intervalles d’une lieue sur la ligne qu’elle doit parcourir, chacun fournissant son relai. Quand l’un s’arrête, l’autre s’élance au galop sur les traces de l’animal, qui se trouve ainsi ne pas avoir un moment de relâche et lutte toujours avec des chevaux frais. » Mais en tombant, l’autruche, par le mouvement de ses ailes, inspire au cheval une terreur qui est souvent dangereuse pour le cavalier.

           Dans le sud de l’Algérie, les hommes de noble race pratiquent encore la chasse au faucon. Le général Daumas en fait le récit suivant : « La chasse ne commence qu’après une assez longue course, vers les trois heures de !’après-midi. Les cavaliers sont nombreux à arriver sur le terrain, ils se disséminent et battent les broussailles, les touffes d’alfa pour faire relever un lièvre qu’on s’efforce de rabattre vers le fauconnier. Aussitôt qu’il aperçoit le gibier, celui-ci enlève le capuchon de l’oiseau et le lâche. Le faucon s’abat sur le lièvre et l’étrangle. Les cavaliers qui l’ont vu descendre accourent de tous côtés. Pour lui faire lâcher prise, on lui jette une peau sur laquelle II se précipite. Cette chasse s’entoure de tout un décorum. Le capuchon et les harnachements sont brodés d’or et de soie, ornés de plumes d’autruches et de grelots. Nul mieux que Fromentin n’a su peindre ces chasses traditionnelles au faucon. »

          Si telles étaient les péripéties de la vie aux confins sahariens de l’Algérie au début du XIXe siècle, elles n’étaient guère différentes au Maroc. Excellents cavaliers, remontés en chevaux barbes ayant du cadre et de la puissance, les nomades marocains pratiquent eux aussi la chasse et la razzia. Le peintre Delacroix, qui effectua un voyage dans ce pays en 1832, en a tiré des sujets de tableaux aux titres évocateurs, qui mettent toujours en scène des chevaux : Combat d’Arabes dans les montagnes, Le caïd chef marocain, Un caïd visitant une tribu, La chasse aux lions...

N.B : Ceci est un extrait gratuit du livre " Le cheval arabe des origines à nos jours " de Philippe Barbié de Préaudeau, les éditions du Jaguar 1987, ceci n'est ni une adaptation ni une reproduction. 

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