Autour de la Méditerranée


               Arrêtons-nous maintenant un instant sur le tableau que présente le monde méditerranéen à l'époque romaine. La plupart des chevaux élevés alors dans l'empire appartiennent à la famille aryenne. D’un ensemble léger, ils ont la tête expressive, le corps plutôt cylindrique, la queue attachée haut. Remontant la cavalerie tant des Romains que des Gaulois, on les trouve représentés sur de nombreux reliefs. Cette relative unité recouvre néanmoins, de l’ouest à l’est et du nord au sud, de nombreuses variantes locales dues aux apports et croisements successifs.

               L’Espagne, on l’a vu, possédait depuis la préhistoire une race mongolique de chevaux valeureux et compacts, à la tête forte, parfois busquée. Mais au IIIe siècle avant notre ère, elle reçut le renfort de chevaux d’Afrique du Nord qui la transformèrent sensiblement. A l’époque des guerres puniques, en effet, le Carthaginois Hasdrubal y fit passer quelque vingt mille chevaux libyens.

Triomphe de Titus; arc de Titus, Rome.


               Le brassage humain à l’origine de cet épisode n’est pas moindre que le brassage animal. Peuplée par la grande ethnie des Berbères, l’Afrique du Nord avait vu s’implanter sur ses côtes des colonies phéniciennes ; des navigateurs venus de Tyr, en particulier, y avaient fondé Carthage, qui fit trembler Rome et dont la puissance reposait sur la marine, mais aussi sur la cavalerie. La côte, autour d’elle, était symbolisée en numismatique par un cheval et un palmier. Voisins de Carthage, les Numides, semi-nomades, qui furent ses alliés avant de se rallier aux Romains, étaient des cavaliers remarquables.

              Aux chevaux de l’Afrique du Nord, on donna le nom de barbes, parce qu’on avait appelé Barbarie l’ensemble de la région (du latin barbarus, qui signifie simplement « étranger »). Il ne s’agissait pas d’une race individualisée, mais d’une population comprenant deux éléments principaux : l’un, oriental, dit barcéen, venu, on l’a dit, d'Égypte et de Libye ; l’autre, occidental, l'equus maurus, issu, semble-t-il, du tronc ibérique.

              Les chevaux du premier groupe, celui de l’actuelle Tunisie, nous sont révélés par les célèbres mosaïques du Bardo, à Tunis : ils ont de la légèreté, de la vitesse, une tête fine. Ceux du second, au Maroc actuel, ont de la majesté, de l’ampleur, une fête plus forte. En Algérie, entre les deux, le cheval des Numides semble en présenter une heureuse synthèse.

             Mis d’abord au service de la cause carthaginoise, les chevaux numides servirent ensuite celle de Rome, ce qui leur assure un bel avenir. Les Romains les emmenèrent à la conquête de l’Angleterre, où on les retrouvera. Cantonnés, d’autre part, en Gaule, dans les parages du cap Gris-Nez, ils donnèrent peut-être naissance à la race boulonnaise. La cavalerie romaine, en tout cas, les utilisait en ces confins nord-occidentaux de l’empire ; ils figurent sur la grande spirale de bronze de la colonne Trajane, à Rome.

             Les cavaliers numides montaient leurs chevaux sans selle ni bride (on les appelait Numidi infreni ), avec un simple collier. Ils les conduisaient à la voix, en ne s’aidant que d’une baguette, ce qui devait exiger un dressage très particulier. Cette technique n’en fut pas moins adoptée par certains Romains, tel l’empereur Gratien, qui montait ses chevaux à la manière des Numides.

            Ainsi le destin du cheval et les avatars de sa race apparaissent-ils intimement liés, de siècle en siècle, au destin des civilisations, des empires. Comme si la Méditerranée, vivante mer intérieure, rythmait les flux et les reflux de l’histoire, il semble que ne cessent d’alterner, sur ses rives, les poussées venant du nord et celles remontant du sud. Les chevaux de Rome, à l’apogée de l’empire, s’étaient avancés jusqu’aux forêts de Germanie. Et voici maintenant que surgissent de ces forêts d’autres chevaux, montés par d’autres hommes, qui vont submerger le monde antique.

            Aux premiers siècles de notre ère, les grandes invasions firent déferler sur Europe méridionale des peuples venus du nord et de l’est. Ils y introduisirent leurs chevaux, qui se rattachaient pour la plupart à la filière mongole. L’Occident fut marqué par les forts animaux des Germano-Scandinaves : Cimbres, Teutons, Goths, Francs, Burgondes. Avec les Wisigoths, les Suèves et les Vandales, les chevaux du nord descendirent jusqu’en Espagne, mais ils ne bornèrent pas là leurs exploits. Car leurs maîtres vandales — qui donnèrent son nom à l’Andalousie — furent appelés en Afrique du Nord par le général byzantin rebelle Boniface. Ils y passèrent en 429 sous la conduite de Genséric, qui y fonda un puissant empire s’étendant pratiquement à tout le Maghreb. Et les chevaux nordiques vinrent y donner un peu d'étoffe aux barbes, après en avoir donné aux ibériques. Au VIe siècle seulement, Bélisaire, général de l'empereur Justinien, replaça l'Afrique du Nord sous l'autorité de Byzance.

N.B : Ceci est un extrait gratuit du livre " Le cheval arabe des origines à nos jours " de Philippe Barbié de Préaudeau, les éditions du Jaguar 1987, ceci n'est ni une adaptation ni une reproduction. 

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