La conquête de l'algérie


                Vers 1830, le paysage hippique apparaît donc en France partagé entre deux camps, deux modes, deux façons de penser. Les classiques prônent l’anglais, les romantiques l’arabe. Au premier, les courses apportent un appoint de taille. Mais le second n’est pas démuni, car il correspond à un profond instinct national. Et voilà qu’il va trouver dans la conquête de l’Algérie, sur le lieu même de ses antiques chevauchées, l’occasion d’un nouvel élan.

                 On sait que, prétextant un incident entre le dey Hussein et le consul de France — le fameux « coup d’éventail » —, les troupes françaises s’étaient emparées d’Alger dès 1830. Mais pour occuper le reste du pays, elles allaient se heurter à une résistance acharnée, dont le principal héros serait l’émir Abd el-Kader. Homme de grand caractère, aussi courageux dans la guerre qu’avisé en politique — et, en ce qui nous concerne, éminent hippologue —, il fut pour l’envahisseur un adversaire redoutable.



L'émir Abd el-Kader à cheval (lithographie), par Victor Adam.


                 La France lui opposa un étonnant condottiere, du nom de Yousouf, un Italien vendu comme esclave à Tunis avant de servir dans la garde du bey. Les Français le nommèrent bey de Constantine à la place du bey des Turcs, Ahmed, toujours puissant et dont le haras était réputé.

                 Chef du corps expéditionnaire français, le général Bugeaud négocie d’abord avec Abd el-Kader, qui se présente à lui sur un superbe cheval noir, entouré des chefs de tribu magnifiquement parés. Mais les conditions posées sont inacceptables et l’émir met sur pied une véritable armée, dont la cavalerie porte un burnous de couleur amarante ou bleu foncé. Bugeaud, qui a pris Constantine, est décidé à occuper tout le pays. Le fer de lance de ses forces est une cavalerie légère qui comprend des chasseurs d’Afrique et des chasseurs spahis, du nom d’un corps institué en Turquie par Mourad Ier. Les premiers, créés en 1831, portent veste bleue, pantalon garance, col et parements jaunes ; les seconds, apparus en 1834, ont la veste turque soutachée de noir, un gilet bleu roi, une large culotte bleue, un burnous rouge. Toutes ces unités sont remontées en chevaux barbes ou arabes-barbes.

                 L’année 1843 voit le tournant de la guerre, avec un fait d’armes qui entrera dans l’imagerie de la légende coloniale : la prise de la smala, ou camp mobile, d’Abd el-Kader. Le duc d’Aumale, que les Arabes appellent Ouled el-Rey, « le fils du roi », commande la subdivision de Médéa. Un jour, Yousouf l’informe de l’endroit où se trouve la smala. Une colonne part de Médéa. Elle est composée de fantassins et de cavaliers, chasseurs d’Afrique du colonel Morriss et spahis de Yousouf. Les indications ont été vagues. Il faut accélérer l’allure. Les hommes et les chevaux s’épuisent dans la chaleur. En arrivant à la source de Taquina, on trouve la smala, Immense agglomération de tentes et de troupeaux. L’attaque est donnée par trois cent cinquante cavaliers qui, l’effet de surprise aidant, enlèvent le camp.




Darley Arabian, un des étalons de base de la race anglaise de pur-sang.


                 Abd el-Kader s’est replié au Maroc, où une armée est mise sur pied. Elle est défaite à la bataille de l’Isly, où, de part et d’autre, la cavalerie fait des prodiges de valeur. Abd el-Kader, traqué par Yousouf, finit par tomber aux mains de ses spahis près du marabout de Sibi Brahim. Il se rend alors au général de Lamo-ricière, moyennant des conditions qui seront scrupuleusement respectées.

                 L’Egypte, pendant ce temps, a retrouvé d’abord une période de calme sous le règne de Méhémet Ali. Ce Turc, originaire de Macédoine, qui avait été blessé en combattant Bonaparte à la bataille d’Aboukir avant de devenir commandant d’une milice albanaise (sertchezma), s’était fait nommer pacha d’Egypte par le sultan de Constantinople. Ayant alors, en 1811, exterminé les chefs mamelouks dans la citadelle du Caire, il avait entrepris de moderniser le pays.

                 Dans cette œuvre, il accorde au cheval la place qu’il mérite. A son intention, il crée une école vétérinaire. Il organise à Choubrah un important haras disposant de vastes bâtiments et d’un grand domaine agricole, où l’on entretiendra jusqu’à mille chevaux, dont cinq cents juments. D’Arabie, où il a aidé le sultan à réduire des rebelles wahabites, Méhémet Ali se fait livrer, à titre de butin de guerre, d’excellents chevaux des Ibn Saoud et autres tribus du Nedj.

                 Ambitionnant pour son fils adoptif Ibrahim le gouvernement de la Syrie, Méhémet va pourtant rompre avec le sultan. Ibrahim battra d’ailleurs lui même les Turcs en 1839 à Nézib, où se distinguera sa magnifique cavalerie. Mais les grandes puissances le contraignent à abandonner la Syrie. Seule la France soutient Méhémet Ali, qui offrira à Louls-Philippe, en témoignage de reconnaissance, l’obélisque de la place de la Concorde. Et c’est en vain qu’il obtient de la Turquie l’hérédité du pachalik d’Egypte en faveur d’Ibrahim : celui-ci meurt l’année même de l’abdication de son père. C’est Abbas Pacha, petit-fils de Méhémet, qui assurera leur succession en 1848.

                 Revenons en France où, nous l’avons dit, les partisans du cheval anglais s’opposent à ceux du cheval arabe. L’année 1833 est marquante à cet égard. Par ordonnance royale, elle voit en effet s’ouvrir le « Registre matricule pour l’inscription des chevaux de race pure existant en France », en d’autres termes l’équivalent du Stud Book qui existait en Angleterre depuis un siècle et demi. Ebauché en 1825 par un arrêté de Charles X, ce livre essentiel verra coexister jusqu’en 1877 chevaux arabes et chevaux anglais « de race pure ».

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